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Seize03 - 20 décembre 2025

La Constitution du Québec et les peuples invisibles

Texte d’idées | Le Devoir

Le projet de loi n° 1, présenté par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour édicter la Constitution québécoise, se veut un jalon historique. Il proclame la primauté du droit, la reconnaissance de la nation québécoise et la protection de ses valeurs. Mais derrière cette ambition solennelle, une omission criante saute aux yeux : celle des peuples autochtones. Invisibles dans ce texte fondateur, ils sont réduits à une mention symbolique, loin des engagements historiques et des réalités juridiques qui devraient guider notre avenir commun.

Ce qui me rappelle le fameux film de Richard Desjardins Le peuple invisible, documentaire sur l’histoire des Anichinabés, qui illustrait magnifiquement comment les peuples autochtones sont trop souvent occultés dans la trame québécoise. Près de 20 ans après ce cri d’alarme, le projet de loi n° 1 semble prolonger cette invisibilisation en refusant de reconnaître pleinement les peuples autochtones et leurs droits fondamentaux.

Le projet reconnaît des « nations » autochtones, leurs langues et leurs cultures. Mais il évite soigneusement le mot « peuples ». Ce choix n’est pas anodin : reconnaître des peuples distincts, c’est reconnaître leur droit à l’autodétermination, consacré par le droit international et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En l’écartant, le Québec refuse d’affirmer ce principe fondamental.

Plus encore, le texte ignore le droit autochtone, ces ordres juridiques propres aux Premières Nations qui préexistent à la création du Canada et du Québec, et qui sont reconnus en droit canadien. Ce droit n’est pas théorique : il s’exprime concrètement par la reconnaissance formelle du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, notamment par le Parlement canadien avec la Loi C‑92 (services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, des Inuits et des Métis) et par les lois adoptées par les Premières Nations en matière de protection de la famille et de l’enfance. Feindre de l’ignorer, c’est nier une réalité juridique et historique.

Cette omission est en rupture avec notre propre histoire. En 1603, la Grande Alliance conclue à Tadoussac établissait des relations de nation à nation avec les peuples autochtones. En 1985, sous l’impulsion de René Lévesque, l’Assemblée nationale adoptait une motion reconnaissant les nations autochtones et leur droit à l’autonomie. Le projet actuel du gouvernement de la CAQ s’éloigne non seulement de ces engagements, mais aussi du contexte juridique contemporain.

Dans une lettre ouverte récente, le ministre Simon Jolin‑Barrette affirme avoir « pris le temps de consulter […] les Premières Nations ». Il a peut-être eu des échanges avec des représentants des Premières Nations (et les Inuits ?), mais on est loin du concept de « consultation » qui, dans les relations entre l’État et les peuples autochtones, a une portée juridique que le ministre Jolin-Barette ne peut pas ignorer.

Des discussions avec des représentants autochtones ne peuvent être assimilées à une véritable consultation, telle qu’exigée par l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter et d’accommoder les peuples autochtones lorsqu’une mesure législative risque d’affecter leurs droits. Cette obligation, reconnue par la Cour suprême du Canada, n’est pas une formalité : elle est au cœur du respect des droits ancestraux et issus de traités. En l’ignorant, le gouvernement s’expose à des critiques légitimes et à des contestations judiciaires tout aussi légitimes.

Une Constitution qui ignore les peuples autochtones n’est pas une Constitution pour tous. Elle est un miroir déformant de notre histoire et un obstacle à notre avenir commun. En vertu des principes de relations de nation à nation, le Québec peut mieux faire. Il doit faire mieux.

Lisez l’article écrit par notre président dans Le Devoir: Idées | La Constitution du Québec et les peuples invisibles | Le Devoir