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Seize03 - 26 août 2025

LE PROJET DE LOI C-5 : UNE LÉGISLATION CONTROVERSÉE À PORTÉE NATIONALE

Le 26 juin 2025, le projet de loi C-5 — officiellement intitulé Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et Loi Chantiers Canada — a reçu la sanction royale. Présentée comme une mesure pour accélérer le lancement de projets d’infrastructure d’envergure et renforcer la résilience économique du pays face aux tensions commerciales avec les États-Unis, cette loi crée une nouvelle procédure pour désigner certains projets comme étant « d’intérêt national ». Ces projets peuvent ainsi bénéficier d’un traitement accéléré, notamment en étant soustraits à certaines lois environnementales, réglementaires ou même aux mécanismes habituels de consultation publique. 

Bien que saluée par plusieurs acteurs économiques, cette approche suscite une vive opposition chez les groupes environnementaux et les représentants autochtones, qui y voient une concentration de pouvoirs sans précédent entre les mains de l’exécutif fédéral, au détriment des principes démocratiques et du respect des droits constitutionnels. 

Consultation autochtone : un processus jugé insuffisant 

L’une des critiques les plus marquées à l’égard du projet de loi C-5 concerne l’absence de mécanisme clair pour garantir une participation significative des peuples autochtones dans la prise de décision. La cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Cindy Woodhouse Nepinak, a été la seule représentante autochtone à témoigner officiellement devant les parlementaires. Elle a dénoncé la rapidité du processus législatif, l’absence de dialogue structuré avec les communautés concernées et le fait que le principe du consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) — reconnu dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) — ne soit pas inscrit dans le texte législatif. 

Le gouvernement évoque plutôt la création d’un comité consultatif autochtone, sans préciser son mandat, sa composition, son degré d’indépendance, ni son pouvoir décisionnel réel. Plusieurs leaders autochtones ont exprimé leurs inquiétudes quant au risque que ce comité serve de simple caution sans assurer une véritable représentativité ou redevabilité auprès des Premières Nations. 

Évaluations environnementales et gouvernance fédérale  

La partie 2 du projet de loi, intitulée Loi sur la construction du Canada, modifie profondément le régime canadien d’évaluation environnementale en permettant au Cabinet de désigner des projets d’intérêt national qui pourraient être exemptés de lois comme la Loi sur les espèces en péril ou la Loi sur l’évaluation d’impact. Selon plusieurs organisations, cette nouvelle législation renverse des décennies de jurisprudence fondée sur des approches scientifiques, participatives et juridiquement encadrées. 

L’un des éléments qui préoccupe le plus les organisations environnementales et les communautés autochtones réside dans le flou juridique entourant la notion même de « projet d’intérêt national ». Le texte de loi ne fournit aucune définition claire de ce qu’un tel projet implique, conférant au Cabinet fédéral un pouvoir discrétionnaire sans précédent. Cette absence de balises précises soulève des craintes de dérives, notamment en permettant à l’exécutif de contourner le processus parlementaire et de suspendre l’application de lois environnementales sans débat public.  

Une tension croissante avec les principes de la DNUDPA 

Adoptée en 2021, la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones engageait le Canada à aligner ses lois sur les principes internationaux de reconnaissance, de participation et de consentement des peuples autochtones. Pourtant, plusieurs observateurs affirment que le projet de loi C-5 constitue une entorse directe à cet engagement. Pour l’ancien député fédéral et expert en politiques autochtones, Robert Falcon Ouellette, il s’agirait même d’une « version moderne de la Loi sur les Indiens ». La rapidité d’adoption, l’absence de processus de consultation rigoureux et les pouvoirs extraordinaires confiés aux ministres fédéraux rappellent, selon certains, les pratiques coloniales des siècles passés. 

Pour plusieurs leaders autochtones, cette loi représente un tournant inquiétant, où les impératifs économiques sont désormais privilégiés au détriment du dialogue, de la transparence et du respect des droits collectifs. Cette inquiétude est partagée par le chef Lance Haymond, de la Première Nation de Kebaowek, qui a participé au panel du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes. 

  • « Je suis ici aujourd’hui pour exprimer mon opposition ferme et sans équivoque au projet de loi C-5. Un projet de loi qui, sous prétexte de réduire les formalités administratives et de bâtir la nation, menace les fondements mêmes de l’ordre constitutionnel du Canada, les droits des Premières Nations et notre cheminement commun vers la réconciliation. Soyons clairs, le projet de loi C-5 propose de réduire le fardeau réglementaire fédéral et d’accélérer les grands projets d’infrastructure, mais ce faisant, il met de côté une obligation constitutionnelle essentielle. L’obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations n’est pas un obstacle procédural ou une case à cocher. Il s’agit d’un impératif constitutionnel reconnu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, confirmé à maintes reprises par la Cour suprême et réaffirmé dans les engagements pris par le Canada dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP). » –   

La mise en œuvre du projet de loi C-5 ouvre la porte à de nouveaux affrontements juridiques et politiques entre le gouvernement fédéral, les Premières Nations et les groupes de la société civile.  Chez SEIZE03, nous suivons de près les développements entourant cette nouvelle législation, notamment en ce qui concerne ses impacts sur les droits des Autochtones, la gouvernance environnementale et les dynamiques intergouvernementales.